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    Bureau

    Bureau, s. m. ; Bure, s.f. ; Burette, s.f.

    La bure était une étoffe de laine très brute et très grossière, qui se fabriquait à bas prix. Le bureau était primitivement une bure renforcée, plus fine de tissu, meilleure de qualité que la bure ordinaire. La burette était, sans doute, une petite bure plus légère ; à vrai dire, on est mal renseigné sur son compte. Le Tarif de 1664 la mentionne ; mais déjà, à cette époque, elle n'était plus en grand usage, et on allait bientôt perdre complètement, avec sa trace, la notion de ses caractères distinctifs.

    Grande table-bureau (style Louis XIV)Fig. 318. Grande table-bureau (style Louis XIV).

    Le bureau, le seul de ces trois tissus dont nous ayons à nous occuper, était fabriqué, dans le principe, à Bernay et « bureax de Bernay » fut longtemps cité comme un dicton populaire. Le bureau eut pendant longtemps le privilège — si c'en est un — d'habiller les gens du commun. Ce fait est attesté par une foule de textes, notamment par le Roman de la Rose :

    Aussy bien sont amourettes
    Soubz bureaux, que sous brunettes,

    par le Grand Testament, de François Villon (§ 36) :

    Mieux vault vivre soubz gros bureaux
    Pauvre, qu'avoir esté seigneur
    Et pourrir soubz riches tumbeanx ;

    et ensuite par Froissart, racontant que l'homme inconnu, dont l'apparition subite, dans la forêt du Mans, détermina la démence de Charles VI, était « vêtu d'une pauvre cotte de burel blanc, et montrait mieux que il fut fol que sage » ; puis par l'indiscret auteur des Cent nouvelles nouvelles, nous présentant (Nouvelle XLIe) un facétieux mari, « qui avoit secrètement fait faire une robe pour sa femme, de gros bureau de gris, et à l'endroit du derrière avoit fait mettre une bonne pièce d'escarlate » ; par Rabelais, nous rapportant que Panurge « print quatre aulnes de bureau et s'en accoustra comme d'une robe longue » ; par Henry Estienne, qui, dans la Précellence du langage françois, reprend à son compte le distique du Roman de la Rose, et le transforme en dicton ; par cet autre dicton du même temps : « Bureau vaut bien escarlate », signifiant que les pauvres gens ne sont point trop inférieurs aux riches ; et enfin par deux vers de Boileau attestant qu'au XVIIe siècle, le bureau n'avait pas cessé d'être employé dans le costume. Il est, en effet, question dans ces vers d'un certain Damon,

    . . . Qui, n'étant vêtu que de simple bureau,
    Passe l'été sans linge, et l'hyver sans manteau.

    Ajoutons encore que le bureau fut parfois employé pour tenture. L'Estimation des meubles de feu Madame, soeur unique du roi (1604), mentionne « neuf pièces de tappisseries de gros bureau, semées de fleurs de grosse tappisserie ». Comment le nom de cette étoffe grossière est-il devenu celui d'un meuble d'abord, ensuite celui d'une pièce ayant une destination spéciale, pour prendre enfin une signification administrative étonnamment vaste ? C'est ce que nous allons essayer d'expliquer.

    Bureau exécuté pour le roi Louis XV, par Riesener (Musée du Louvre)Bureau exécuté pour le roi Louis XV, par Riesener (Musée du Louvre)

    La coutume d'écrire sur parchemin tendu sur châssis ; le besoin de préserver les reliures des livres qui, parfois, étaient d'une grande richesse ; l'habitude où l'on était de compter avec des jetons, firent souhaiter à ceux qui, dans les maisons souveraines ou princières, étaient chargés des écritures et des comptes, d'avoir toujours sur leurs tables un tapis d'étoffe commune et suffisamment épaisse pour empêcher le parchemin ou les reliures de s'abîmer et les jetons de rebondir. Ce tapis fut fait en grosse bure ou bureau, et bientôt, le nom de l'étoffe employée passant au tapis lui-même, on prit l'habitude de nommer ce tapis un bureau ; et voilà comment nous rencontrons, dans les comptes du XIVe siècle, ce mot mêlé à ceux de toutes sortes d'autres objets constituant ce que nous appellerions aujourd'hui de la fourniture de bureau : « A Jehannin Bietris, clerc de panneterie, pour 1 papier neufs achetté par lui pour l'office de panneterie, VIII sols parisis ; II douzaines de parchemin, XIV sols la douzaine ; une escriptouere neufve, garnie de cornet, canivet et laz de soye, XXIV sols parisis ; un bureau, XII sols parisis ; un cent gestouers, IV sols parisis, pour gester et enregistrer, etc. » (Comptes de l'hôtel du roi Charles VI, 1380.) En quoi consistaient ces bureaux ? Comment étaient-ils façonnés ? Un autre compte de la m ême année va nous le dire. « A Nycholas le Flament, pour II draps de pers, de Louviers, achetés de lui pour faire bureaux en ladicte chambre, contenant XXXI aulnes à mouiller et à tondre, XXVIII liv. XVI sols parisis. — Jehan de Beauvèz, tondeur, pour tondre, mouiller et retondre les diz bureaux : XXX sols parisis. — Jehan Bernier, pour la façon de IIII bureaux oullés (ourlés) tout entour : XVI deniers parisis. » (Ibid., Chambre aux deniers, 1380.) On remarquera que, destinés à la Chambre aux deniers, c'est-à-dire à la trésorerie royale, ces derniers bureaux, mouillés, tondus, retondus et ouriés, ne sont plus faits de bure renforcée, mais de drap de Louviers de couleur perse, c'est-à-dire bleue. Au siècle suivant, on continuera à se servir de drap, mais on changera la couleur. On adoptera le vert foncé comme plus favorable à la vue, et c'est la nuance qui se conservera et se transmettra jusqu'à nous. « A Robin le Masle, drapier, demourant à Tours pour six aulnes de vert à faire deux bureaux pour le maistre et pour le contcrolleur, au prix de XXVII s. VI d. tournois l'aulne, valent argent VIII liv. V s. tournois. » (XXIe compte de l'hostel du roi Charles VII, 1450.) « A Jehan le Sellier, marchant drappier, demourant à Paris... IV livres parisis, pour quatre aulnes III quartiers de drap vert, pour servir aux deux bureaux de la chambre de la Huchecte. » (Compte de Jean de la Saunerie, procureur et recepveur de l'Ostel-Dieu de Paris, 1505-1506.) Enfin, dans l'Inventaire de Marguerite d'Autriche (1524), nous notons encore « ung petit bureau de drap vert ». A cette époque, au reste, le meuble, recouvert de son tapis, avait déjà pris lui-même le nom de bureau. L'Acte d'acquisition de l'hôtel Saint-Pol (Paris, 1361) se termine par ces mots : « Ce fut faict en la dicte chambre des comptes, au burel, presens maistres...,etc. » Dans un Acte de fondation d'une chapéllenie en l'église du Saint-Sépulcre (Paris, 1381), il est dit que les rentes « par an admorties » seront payées « chascun an également de mois en mois, par portion, au buriau ou comptoir d'ycelle église ». Ainsi, dès le XIVe siècle, l'assimilation était presque faite. Au siècle suivant, elle est si bien admise qu'on appelle par analogie sièges de bureau les escabeaux placés devant la table ainsi recouverte. Parlant de la cérémonie de la Toison d'Or, qui eut lieu en 1445, Olivier de la Marche écrit : « Et par un mardy, le sixiesme jour de novembre, s'assemblèrent tous les Chevaliers au chasteau de Cand, environ deux heures après midy, et saillirent tous en ordre hors de la chambre de conseil, qui pour eux estoit préparée de sièges de bureau, à rendre compte non pas d'argent ou de dispence d'avoir, ou de richesse, mais de leur honneur, si besoing faisoit, et aussi pour leurs affaires et pour leurs élections. » (Mém., liv. Ier, p. 256.) Pour la même cause, on disait tenir bureau, comme on dit aujourd'hui tenir audience, « Le Duc a un premier maistre d'hostel et quatre austres maistres d'hostels, lesquels avec le premier ont le regard à la police de la maison et à la despence du Prince, tiennent le bureau une fois le jour pour compter la despence du jour précédent, et pour faire justice à un chascun. Deux huissiers de salle sont les sergeans de bureau, qui adjournent les parties aux requestes d'autres parties. » (Étal de la maison du duc de Bourgogne.) Enfin, la mention finale du texte original de la paix d'Arras (1435) : Lecta anti burellum in caméra complorum Domini nostri Régis, achève de prouver l'adaptation, dès le XVe siècle, du mot bureau à un ensemble d'objets assez complexe. Cependant, ce n'est guère qu'à la fin du XVIe siècle que la table et le tapis qui la couvre firent corps ensemble, et que le bureau, en tant que meuble, à destination et à forme précises, commença d'exister.

    Bureau du roi Louis XV

    Fig. 319. Bureau du roi Louis XV.

    Jusque-là, à bien prendre, c'était le tapis qui constituait le bureau. Ce tapis pouvait recouvrir une table, un banc, un coffre ; le coffre, la table, le banc, par le seul fait de l'adjonction du tapis, devenaient bureau. A partir de 1600, il n'en est plus ainsi. Le tapis de drap ou de basane cesse d'envelopper la base qui le porte ; il se fixe à demeure sur une table de forme spéciale, montée sur un châssis portant lui-même un certain nombre de tiroirs et reposant sur des colonnes, des pieds on des balustres, et c'est cette table ainsi couverte, qui devient le bureau. Sully écrit (Mém. t. VII, p. 189), en parlant de Henri IV : « Il voulut que je lui fisse construire une espèce de cabinet ou grand bureau proprement travaillé et entièrement garni de tiroirs, de layettes, de caissetins tous fermans à clef, doublés de satin cramoisi. » On le voit, la confusion, à ce moment, est complète. Circonstance à noter, cette adaptation coïncide avec le grand mouvement littéraire qui marque l'aurore du XVIIe siècle, avec l'éclosion du beau langage, avec l'apparition des « précieux » et des « précieuses ». Dès lors, il ne faut point s'étonner si le bureau s'embellit et si ses contours, devenus visibles, cherchent à se faire élégants. Bientôt rien ne sera trop beau pour sa parure. Les bois précieux vont s'allier aux métaux brillants, et Boulle va créer ces meubles superbes, dignes, par leur surprenante richesse, du plus fastueux des rois. « J'ai été à Trianon pour voir le second bureau de Boulle ; il est aussi beau que l'autre et sied à merveille à cette chambre », écrit le duc d'Antin à Louis XIV ; et le Grand Roi trace en marge le mot « bon ».

    La description de quelques-uns de ces bureaux incomparables, enfantés par le génie de notre illustre ébéniste, prouve, au reste, que l'approbation concise du Roi-Soleil était largement méritée. Mentionnons d'abord « un bureau de marqueterie de cuivre sur fond d'étain, brisé par-dessus en deux endroits, aiant six tiroirs par devant, un grand et cinq petits, orné autour d'une petite moulure à feuillages de bronze doré, le bord du quarré de dessus et bordure des angles faits de nacre de perle sur fond d'ébène, porté sur huit thermes d'enfants en consolles de bois doré et argenté ; long de deux pieds neuf pouces, sur vingt un pouces de large et vingt-neuf de haut ». Ce beau meuble figure dans l'Inventaire général des meubles de la Couronne. C'est ensuite « un superbe bureau de Boulle première partie, à trois tiroirs et à quatre pieds de biche, avec entrejambes ceintrées de chaque côté, sortant des pieds, se réunissant à un pilier carré rentrant en dessous et servant de support ; il est garni de carderon, de fortes chûtes à tête de femme, forts mascarons, cadres, de pieds à griffes de lion et accessoires en bronze doré ; longueur, 6 pieds 6 pouces, sur 36 de large». Ce second bureau faisait partie du fameux cabinet de M. Randon de Boisset. Citons encore le bureau de six pieds de long, couvert en maroquin, destiné au Dauphin, et cet autre bureau de marqueterie de bois de rapport, couvert de velours vert et garni de trente-neuf tiroirs, qui disparurent tous deux dans l'incendie des ateliers de Boulle. Puis, pour passer des documents écrits aux spécimens encore visibles, c'est le charmant bureau en écaille, à nombreux tiroirs, conservé au Garde-Meuble, ou encore le bureau monumental, avec pieds et tiroirs décorés d'appliques et de chutes en bronze doré, que le fameux ébéniste exécuta pour Colbert, et qui orne aujourd'hui le ministère de la marine.

    Petit bureau de dame (fin du XVIIe siècle).

    Fig. 320. Petit bureau de dame (fin du XVIIe siècle).

    A partir de ce temps, du reste, l'élan est donné, les beaux bureaux, les bureaux de prix ont leur place marquée dans tous les intérieurs luxueux. Le Grand Roi en offre en cadeau aux ambassadeurs du roi de Siam. Ils se répandent partout, jusque chez les simples particuliers. Le luxe devient même si grand que Louis XIV est obligé d'interdire qu'on en fasse en argent massif. Mais ceux de bois exotiques, ou revêtus d'écaille, de bronze et d'étain, persistent à être d'une richesse rare et d'une abondance singulière. C'est ainsi que chez un simple procureur au Parlement, Me Pierre Jarosson (1718), nous rencontrons un bureau de palissandre, bois alors très rare. Chez un modeste conseiller au Châtelet, Me François Courtois (1719), on remarque « un grand bureau d'écaille marquetée de cuyvre garny de tiroirs fermant à clef ». Bien mieux, voici chez un vulgaire marchand de vin (Invent, de Jean Monin, 1720) : « un Bureau de chambre, d'écaille et de marqueterie, garny de seize tiroirs et de deux guichetz avec quatre cartouches représentant des masques de cuivre bronzé ». Comment s'étonner après cela que Germain Brice signale la présence de bureaux splendides, dans les intérieurs élégants qu'il décrit, au milieu « des tableaux exquis, des bronzes, des porcelaines rares, des tables et des cabinets portatifs de prix » ? Les documents, au reste, sont assez nombreux sur cette époque. Profitons-en pour passer en revue quelques-uns de ces beaux meubles ayant un caractère historique. Notons d'abord le bureau sur lequel le futur Régent écrivait à Versailles, en 1708. Il était de marqueterie de cuivre et d'étain sur fond d'écaille de tortue, le dessus était brisé et portait au milieu le chiffre du prince, avec une couronne fermée, s'enlevant sur un champ fleurdelisé. Nous avons déjà parlé du bureau de Colbert, celui du maréchal de Créquy était également de marqueterie incrustée de cuivre et d'étain sur fond d'écaille. Il se composait d'une table formant bureau, et supportant le corps principal, garni de tiroirs et de vantaux aux armes du maréchal. (Ce beau meuble est actuellement au musée de Cluny.) Celui du maréchal d'Humières était de marqueterie avec un gradin à volets. Le bureau du président Lamoignon était en bois noir, orné de moulures, chutes et pieds de bronze. Celui de M. de Jullienne était plaqué en bois de rose, avec ornements et quarts de rond dorés. Le duc de Bouillon possédait aussi un bureau plaqué de bois de rose et de bois violet à fleurs et coquilles, et garni en bronze doré. Celui de M. de Belhombre était en acajou massif, couvert de maroquin, garni de bronzes dorés avec des tiroirs et un petit serre-papiers tenant au bureau. Celui du fermier général Camuset était en marqueterie de Boulle, avec serre-papiers et pendille ; il avait coûté 1,400 livres. Le manutentionnaire général Delisle possédait également un « beau bureau de Boule ». Le duc de Luynes écrivait sur un bureau d'ébène. Celui du marquis de Pire était de « bois d'écailles » (sic), marqueté de cuivre avec huit tiroirs. Celui de l'illustre Bérain, « dessinateur de la chambre et cabinet du roi », était de bois de violette, garni de neuf tiroirs. Celui du peintre Coypel était « à l'antique » en marqueterie d'écaille avec tiroirs et guichet. Le bureau de M. du Jonquoi de Monville était, si nous en croyons Dufort de Cheverny (Mém., t. Ier, p. 306), « de porcelaine le plus beau et le plus agréable possible », et celui du fermier général d'Épinay était en laque. Enfin, par la gravure, nous connaissons les bureaux de Samuel Bernard, de M. de Vergennes, du poète Collé et de vingt autres personnages de ce temps. Inutile donc de nous étendre davantage sur les bureaux masculins.

    Bureau à serre-papiers (fin du XVIIIe siècle)

    Fig. 821. Bureau à serre-papiers (fin du XVIIIe siècle).

    « J'ai été la première femme qui ait eu un bureau, ce que l'on critiqua beaucoup d'abord, et ensuite presque toutes les femmes en eurent », dit Mme de Genlis, dans ses Mémoires, et poussée par son désir de se singulariser, cette vénérable dame nous raconte que son frère fit, à ce sujet, une couple d'assez mauvais vers. Cette affirmation passe les bornes de la vraisemblance. Au musée de Cluny on conserve, en effet, un petit bureau en bois des îles, orné de rinceaux incrustés d'étain, monté sur huit balustres à chapiteaux, qui passe pour avoir appartenu à Marie de Médicis, et qui est certainement un ouvrage de marqueterie du XVIIe siècle. Si l'attribution de ce bureau n'a rien d'absolument certain, il convient de remarquer que, dès 1629, on rencontre dans l'inventaire d'une bourgeoise parisienne, de Marguerite Gudin, en son vivant épouse de Rémy Levesque, docteur en médecine : « Un petit bureau façon de table garny de plusieurs tirouers de bois noyer. » Il n'est pas probable, en outre, que les « précieuses » comme la belle Julie d'Angennes, et les femmes-auteurs du XVIIe siècle, comme Mlle de Scudéry, Mme d'Aulnoy, Mme de La Fayette se soient privées de « tables à écrire », c'est-à-dire de bureaux. S'imagine-t-on Mme de Sévigné sans ce meuble indispensable, alors surtout que la Dauphine en possédait un ? « Elle laisse, écrit le Mercure d'avril 1690, à l'occasion de la mort de cette princesse, Elle laisse à Mme Bessola qui est venue avec Elle de Bavière, et qu'Elle a toujours considérée, son prie-Dieu et son bureau. » Mme de Frontenac, cette Divine, faisait mieux ; elle en avait deux dans sa chambre, l'un « de bois de noyer ciselé, garny de tiroirs, sur huit colonnes de bois », et un second, « en poirier, plus petit et plus simple ». Il existait, en outre, chez la maréchale d'Humières, « un bureau de bois de marqueterie, avec deux pilastres aux deux costés » ; il était placé devant une croisée. Chez Mlle d'Aumale on trouvait un bureau à compartiments, de marqueterie de bois de merisier, avec rinceaux d'ébène verte ; chez Mlle Gaudry, un bureau de chêne à trois grands tiroirs. N'oublions pas que Turcaret disait en 1709 à la baronne : « Je viens, Madame, de vous acheter pour dix mille francs de glaces, de porcelaines, de bureaux » ; et souvenons-nous que Mme de Maintenon entrait en colère, quand la duchesse de Bourgogne se permettait de toucher aux papiers placés sur son bureau. (Voir Saint-Simon, Mémoires, t. V, p. 354.) Mieux que cela, nous avons, par l'Inventaire de Versailles, dressé en 1708, la description des deux petits bureaux, qui ornaient la chambre de cette sévère dame. Ils étaient « de marqueterie d'étain sur fond de bois de noyer, à quatre tiroirs et un guichet par devant, le dessus brisé avec trois tiroirs en dedans, portés sur huit pilliers en guaine de même ouvrage, et bois argenté aux chapiteau et base». Ils mesuraient, l'un et l'autre, deux pieds neuf pouces de long sur hui pied neuf pouces de large ; ce sont bien les dimensions d'un bureau de femme. Si, de la favorite de Louis XIV nous passons à la favorite de Louis XV, le tableau change et s'égaye d'une façon singulière. A Crécy, Mme de Pompadour possédait un bureau plaqué en bois de rose et en bois d'amarante, avec deux pupitres et six tiroirs, les pieds, chutes et quarts de rond de bronze doré d'or moulu. A Bellevue, elle écrivait sur un petit bureau de chêne plaqué de bois de rose et de bois satiné, garni de maroquin, toujours orné de bronze doré, et au château de Saint-Hubert sur « une table à écrire, en bois de rose et fleurs de bois de violette, ayant, par devant, une tablette à coulisse couverte de maroquin noir, à droite un tiroir à clef garni d'encrier, poudrier et boëte à éponge ». C'est cette délicieuse petite table que l'on voit reproduite dans le grand portrait que Boucher nous a laissé de la belle marquise. Après la description de ces trois meubles charmants, il importe peu, semble-t-il, de savoir que Mme de Beaumont ait possédé un petit bureau de bois de rose à mosaïque ; Mlle Duclos, un bureau de palissandre ; que Mme de la Rcynièrc ait eu un « bureau de travail de quatre pieds en poirrier noirci », et qu'on en trouve un autre dans le mobilier de Mme Hourdeau. En voilà plus qu'il n'en faut pour démontrer quelle étrange illusion se faisait Mme de Genlis.

    Comme cela était naturel, le bureau, en devenant un meuble à la mode, et d'un usage courant pour les gens du monde, devait non seulement chercher à varier, à embellir ses formes et à s'enrichir d'ornements brillants, mais il était également tenu de se faire plus prévenant, plus confortable et plus commode. Nous avons vu que, dans ce but, il s'était adjoint, presque dès le principe, un certain nombre de tiroirs, d'une indiscutable utilité. Bientôt, nous l'avons vu également, il se compliqua d'un gradin disposé en casier, où l'on put mettre et classer ses papiers. Ce gradin, à son tour, se transforma en serre-papiers, lorsque les tiroirs se furent substitués aux cases toujours ouvertes. De cette façon, correspondance, notes, mémoires se trouvèrent à l'abri des mains indiscrètes. Mais les secrets n'étaient vraiment en sûreté qu'à la condition d'avoir le soin de les ranger. Or les gens du monde sont peu rangeurspar nature, c est pourquoi on imagina un bureau qui, se refermant tout d'une pièce, pût abriter en un instant tous les papiers épars. C'est ainsi que le bureau à cylindre vit le jour.

    Le gradin avait fait son apparition dès le milieu du XVIIe siècle ; à la fin de ce même siècle, le serre-papiers s'était substitué à lui. Vingt ans plus tard, le serre-papiers, qui d'abord avait été un petit meuble indépendant, simplement superposé à la table à écrire, faisait corps avec elle ; et en 1750, le bureau à cylindre était inventé. La première description, que nous rencontrons de ce meuble si commode est ainsi conçue : « Un secrétaire en bureau de divers bois des Indes, à placages, et abattant à cylindre fermant tous les tiroirs, le dessus en platte-forme, orné d'une balustrade à oves de bois d'amarante et filets blancs et noirs. » Cette description, il est vrai, date de 1760 ; mais elle est empruntée à un Inventaire des meubles de la Couronne, et il n'y a aucune témérité à prétendre que ce genre de meuble existait déjà depuis une dizaine d'années. C'est parmi les bureaux à cylindre que nous trouvons les deux bureaux du XVIIIe siècle les plus parfaits qui soient parvenus jusqu'à nous. L'un, l'admirable bureau construit par Riesener, pour Louis XV, et qu'on admire au Louvre, peut passer avec justice pour, l'un des chefs-d'oeuvre de l'ébénistcric moderne ; l'autre, conservé au Mobilier national, est une merveille de grâce, d'élégance et de distinction.

    Bureau à cylindre, fermeture compliquée (fin du XVIIIe siècle)

    Fig. 322. Bureau à cylindre, fermeture compliquée (fin du XVIIIe siècle).

    La construction du bureau à cylindre fut toujours coûteuse. Elle exige, pour que le cylindre et la tablette à écrire continuent de fonctionner sans effort, l'emploi de bois de première qualité, parfaitement secs, ainsi qu'une exactitude en quelque sorte mathématique dans le tracé et l'exécution des rainures. Aussi le prix de la main-d'oeuvre a-t-il fait délaisser, il y a quarante ans, la fabrication de ces meubles compliqués, et on leur a substitué un nouveau mode de fermeture, non plus cylindrique, mais à angle droit, produit par rabattant de la table à écrire qui se relève, et vient se joindre à une tablette horizontale, qui s'avance au moment où l'on refoule la table pliée à l'intérieur du caisson. Comme ce nouveau bureau, lorsqu'il est fermé, offre une vague ressemblance avec un piano droit carré, on lui a donné le nom de cet instrument. On l'appelle le bureau-piano. Une autre sorte de bureau auquel on a donné la qualification sonore de bureau-ministre est, depuis quelques années, en grande faveur. Ces bureaux sont clos jusqu'à terre, sur les deux côtés, par une superposition de tiroirs remplaçant les antiques gradins et le vieux serre-papiers, et au fond par un panneau qui tient les jambes à l'abri des courants d'air. Mais le bureau-ministre, comme le bureau-piano, sont rarement plastiques. Ils se prêtent mal, en outre, à une décoration compliquée ; en sorte que les personnes éprises des beaux meubles sont obligées de revenir aux anciennes tables à écrire, qu'on recouvre d'une basane ou d'un maroquin vert, indiquant la destination du meuble et remplaçant le primitif bureau.

    Le mot bureau, nous l'avons dit en commençant, désigne aussi parfois une pièce de l'habitation ; on trouvera tout ce qui concerne cette pièce au mot étude.